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L'espace de Xadkor

LES RACINES DE LA VIOLENCE : L’EDUCATION EN QUESTION

5 Juillet 2021 , Rédigé par Ibou Dramé Sylla

De la lâcheté dans la protection des agents qui sont agressés dans l’exercice de leur fonction, tel est le triste tableau que dévoile le cas Nd. A. D., cette collègue agressée dans un lycée de Kebemer. La violence a atteint un niveau qui doit mobiliser les réflexions très fouillées des chercheurs en sciences sociales et humaines. Le Département de Philosophie de l’Université Cheikh Anta Diop avait organisé, il y a juste quelques années, un Colloque international au titre fort évocateur de ce que nous sommes en train de vivre dans nos écoles et universités : La Violence dans tous ses états. Nous doutons fort que les autorités publiques aient pris connaissance des analyses et propositions sorties de ces jours de travail intellectuel ayant regroupé des sommités de différents horizons de la Science. La persécution que les éducateurs sont en train de subir dans l’espace consacré à la libre discussion des idées et opinions est symptomatique du degré de violence qui se déploie dans la société.

 

Les philosophes ont la particularité de saisir à l’avance les soubresauts qui guettent l’histoire humaine. Nous vivons dans une époque très violente. La société sénégalaise s’est illustrée depuis quelques temps dans l’art de la violence. Du discours à l’acte, tout porte les signes de la violence. En effet, comment ne pas être violent si celui que les Sénégalais ont placé à la tête de l’Etat devient par ses faits et gestes l’incarnation de la violence ? Oui, il faut le dire et vivre, Macky Sall ne brille que dans la violence. Dans la violence physique comme dans celle symbolique. Ces jours-ci, les photos et vidéos montrant des nervis qui tabassent tout citoyen voulant avoir une voix discordante de celle de la meute du 3ème mandat en attestent. Cela consacre la défaite de la pensée qui doit, en principe, se déployer dans la contradiction des arguments.

 

La violence prend racine dans la famille. Au demeurant, quand l’autorité des père et mère est en ruine dans les limites du cercle familial, la brutalité investit l’espace public. Et c’est là que la menace devient une réalité tangible. Nul ne peut nier la surabondance des faits de violence dans le vécu du Sénégal, en ces temps qui courent. Le langage et les comportements des jeunes constituent un baromètre pour jauger le degré de surenchère dans la société. Seulement, tout porte à croire que certains jeunes ne font que suivre l’exemple de certains vieux qui ne sont pourvus qu’en âge et non en sagesse. Un sentiment de persécution généralisée flotte dans l’air. Et personne n’est épargnée.

 

Les philosophes et psychologues doivent scruter, à nouveaux frais, l’âme de l’homo senegalensis pour comprendre les relents de cette violence inouïe qui a fini de prendre forme. L’expliquer et proposer des solutions pour l’éradiquer. Dans un texte publié en 1976 et dont le titre est ‘’Les adultes et l’escalade de la jeunesse’’, Kéba Mbaye donnait déjà un signal fort sur ce qui nous préoccupe ici. Il note à cet effet : « Dans un monde au devenir hypothéqué par une population qui s’accroît et des ressources qui s’amenuisent, par un environnement qui se dégrade et une criminalité qui se développe, il n’est pas inutile, tout au contraire, de réfléchir sur les moyens de préserver l’espèce en préservant la jeunesse ; car c’est précisément cette jeunesse qui est au centre des problèmes dramatiques de notre époque. La préserver, c’est la protéger contre tous les maux qui la menacent, et tout d’abord contre elle-même ».

 

Dans sa lettre datant du 5 mars 1909, Egon Schiele note ceci à l’endroit de Leopold Czihaczek, son oncle : « La vie doit être un combat contre les assauts des ennemis à travers des flots de souffrances ». Si nous avons repris cette pensée, au-delà de la philosophie de vie de son auteur qui s’y exprime, c’est qu’elle traduit au mieux la raison de notre posture devant l’arbitraire de l’injustice et la férocité de la barbarie. Le combat pour le règne de la justice et de la stabilité est un impératif pour qu’une société puisse prospérer. À l’évidence, une certaine colère est étouffée dans les cœurs. Son expression, en épousant les canaux d’une explosion, risque de faire mal. Quand on grandit dans la violence, on n’en voit pas l’horreur ! Et Marx n’a pas totalement tort de dire que c’est la vie qui détermine la conscience et non le contraire.

 

Le philosophe Iba Fall, de regrettée mémoire, a indiqué dans son ouvrage intitulé Crise de la socialisation au Sénégal que « L’éducation fait partie sans doute des préoccupations les plus vieilles des sociétés humaines et l’une des plus importantes parce qu’étant un véhicule et l’une des meilleures garanties pour une préservation et une perpétuation de valeurs, de traditions et de coutumes chez un peuple ». Ce constat tire son fondement dans les expériences et les trajectoires historiques de tous les peuples. Cette approche diachronique révèle quelque chose d’essentiel dans la marche de l’humanité : l’édification de l’homme comme porteur de sens. Quand la logique de perpétuation des valeurs fondatrices du vivre ensemble détracte, il y a à crainte pour la stabilité. Le mal de la société sénégalaise semble atteindre la gangrène, car l’éducation est en crise. Par conséquent, nous assistons à la crise de l’homme. C’est l’école qui, en tant qu’institution devant éclairer les grandes phases de la marche vers plus d’humanité, est dans l’abîme du mal. L’instance qui doit soigner la société est malade. Le mot n’est nullement de trop. C’est l’amer constat. Stefan Zweig fait remarquer que l’absolu ne fait « qu’imposer des décisions ». Il nous faut poser des actes forts allant dans le sens d’endiguer la violence. La violence inouïe dont font montre des gens qui ne veulent rien d’autre qu’imposer leur opinion ébranle les assises d’un monde qui tend au perfectionnement. Et pour l’homme qui renonce à cet élan de dépassement, la civilisation devient, à ses yeux, un fardeau. Si rien n’est fait pour extirper le mal, le pouvoir destructeur de l’indifférence aura raison de nous.

 

Aujourd’hui, la question qui s’impose à tout acteur de l’éducation est : quel type d’élève pour quelle offre éducationnelle ? Quand l’autorité du maitre n’est plus reconnue par celui-là même qu’il forme c’est que l’école a perdu son sens véritable. Nous n’entendons pas ici par autorité l’exercice d’un pouvoir de domination psychologique. Il convient de signaler que dans ces situations, c’est l’élève qui, en dernière instance, est le grand perdant. Il flotte entre la maison et l’école. Les parents pensent que c’est à l’école d’assurer l’éducation alors que le maitre est aujourd’hui assigné à la pure et simple transmission de connaissances. Il instruit, car c’est l’orientation des décideurs politiques. Cheikh Hamidou Kane de faire comprendre justement qu’« une plaie qu’on néglige ne guérit pas, mais s’infecte jusqu’à la gangrène. Un enfant qu’on n’éduque pas régresse ». La plaie de la société c’est la crise de l’éducation.  Mariama Ba de noter dans Une si longue lettre : « notre société actuelle est ébranlée dans ses assises les plus profondes, tiraillée entre l’attrait des vices importés, et la résistance farouche des vertus anciennes. Le rêve d’une ascension sociale fulgurante pousse les parents à donner plus de savoir que d’éducation à leurs enfants ». Aussi importe-t-il de ne pas oublier la dynamique permanent de réajustement des rapports réciproques entre la société et l’école qui, comme les autres institutions, participe de celle-ci. La nécessité de cette remarque se justifie par les changements internes que la société elle-même occasionne pour être en phase avec les exigences de l’époque.

 

L’impunité s’installe de manière insidieuse dans les consciences et anesthésie la capacité d’indignation des plus lucides. Finalement, c’est le tortionnaire qui crie à la justice en se drapant du manteau de la victimisation. Au rythme où vont les choses, il ne serait pas exagéré de dire que le pays est engagé sur une trajectoire existentielle qui ne débouchera que sur le péril. Et le drame avec ce fléau est que ceux qui impulsent sa dynamique se dérobent à l’heure du bilan. La démission favorise l’arbitraire. C’est le sens de la lâcheté que nous évoquions plus haut. La responsabilité voudrait que l’homme assume les conséquences qui découlent de ses actions (Sartre).

 

Quand la violence s’invite dans les rapports humains comme seul moyen de régulation, il y a de quoi avoir peur. Une vie inscrite dans la brutalité et la barbarie profite aux hommes de peu de valeurs. Par principe et au nom de l’honneur qui s’attache à l’acte sacerdotal du métier d’enseignant, je me vois en alerteur.

 

Dr Ibou Dramé SYLLA

Professeur de Philosophie, écrivain

xadkor@gmail.com

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