« Tous les Edgar méritent des égards »
Il y a beaucoup d’Edgar en un seul, c’est une chance pour ceux qui t’aiment. Tu leur donne l’embarras du choix : l’épistémologue, le sociologue, le prophète, l’autobiographe, le journaliste, le diariste, le militant, l’historien et j’en passe (je me limite aux personnages publics, l’individu privé n’étant pas moins complexe, ceci explique peut-être cela). Cela serait assez difficile pour n’importe qui d’autre de mener tout cela de front pendant quatre cinquièmes de siècle, sans devenir un peu fou ou arlequin, mais le miracle d’Edgar Morin, c’est la combinaison calme des fécondités. Ça aurait plus à Karl Marx, le côté homme total. En tout cas, tous les Edgar méritent des égards. Quand on se brouille avec l’un, on se réconcilie avec l’autre. Ça dépend des conjonctures, des humeurs et des centres d’intérêt. Personnellement, je les respecte tous, parce qu’ils m’ont toujours instruit, et j’ai beaucoup d’affection pour neuf Edgar sur dix. Il y a peu de personnes qui, à la proportionnelle, font des scores pareils.
Régis Debray